" Rencontre de l’Algérie et de son Eglise "
Des Lecteurs du journal "La Croix" en Algérie , Novembre2005 : Témoignage

Des lecteurs à la rencontre de l’Algérie et de son Église En novembre, 95 lecteurs de « La Croix » ont participé à un voyage sur les traces de saint Augustin et du Père de Foucauld. En prenant conscience de la tâche accomplie par l’Église. Paru le : mercredi 30/11/2005

CELA aurait pu être un beau voyage touristique. Et d’une certaine manière, ce fut vrai. Songez : les ruines romaines d’Hippone (avec les restes de la basilique de saint Augustin), de Guelma (un théâtre antique superbement conservé), de Madaure (un site d’une étendue impressionnante), de Tipasa, enfin, en surplomb de la Méditerranée, lieu magique vanté par Camus. Et Alger, plus blanche que jamais, avec ses immeubles fraîchement repeints descendant en cascade vers une baie magnifique, ses rues grouillantes, son front de mer majestueux et sa casbah protégée tant bien que mal des ravages du temps. Tamanrasset enfin, son reg austère, lunaire, avec ses pitons aux couleurs changeantes et ses Touaregs conviviaux.

Cela aurait pu être aussi un simple retour aux sources. Parmi la petite centaine de lecteurs de La Croix qui ont participé à ce voyage en Algérie, il y avait une douzaine de « pieds-noirs » en quête de leurs souvenirs, émus de revoir les rues de leur jeunesse, mais aussi des enfants de fonctionnaires en poste en Afrique du Nord, des coopérants actifs là-bas après l’indépendance et d’anciens militaires, de carrière ou appelés, qui ont participé d’une manière ou d’une autre à la guerre. Pour eux tous, la charge d’émotion était évidente.

Mais ce voyage, organisé à la mi-novembre par notre journal en liaison avec l’agence Ictus, a été surtout une rencontre avec un peuple resté proche malgré les vicissitudes de l’Histoire et avec une Église pas comme les autres. Une Église ancienne, florissante dès les premiers siècles de la chrétienté : commencer l’itinéraire à Annaba était se placer dans les pas de l’une de ses plus grandes figures, saint Augustin, « un génie de l’humanité », comme l’a rappelé, le jour même de son 1651e anniversaire, son lointain successeur, Mgr Gabriel Piroird, actuel évêque de Constantine et d’Hippone, sans doute le mieux placé pour évoquer son héritage. Et pour dire combien l’exemple, les écrits et les actions de son célèbre prédécesseur, en un temps où « l’Église s’était trouvée à la charnière de deux mondes » - entre l’Empire romain déclinant et l’invasion des Vandales -, lui étaient utiles, aujourd’hui, « au sein d’une Église ultra-minoritaire dans une société de culture arabo-berbéro-musulmane ».

Cette originalité de l’Église d’Algérie, on ne pouvait mieux la ressentir qu’en la basilique Notre-Dame d’Afrique au cours d’une messe célébrée par Mgr Henri Teissier, archevêque d’Alger. Celui-ci, dans une homélie émouvante, prononcée avec un ton de conviction passionnée, a rappelé que ce bâtiment concentrait toute l’histoire de la chrétienté africaine : saint Augustin et sa mère, sainte Monique, y sont présents par des fresques dans le transept. Construite dans les années 1850, la nef témoigne de l’Algérie chrétienne qui prospéra pendant le siècle et demi de présence française. À la ferveur du peuple pied-noir pour Marie - traduite par les dizaines d’ex-voto inscrits sur ses murs - correspondait la fascination des musulmans pour la piété mariale. Des Algériens n’ont cessé de la fréquenter, et cela reste vrai aujourd’hui. Quelle autre église au monde peut se vanter de porter, sur le mur de son abside, cette inscription : « Notre-Dame d’Afrique, priez pour nous et pour les musulmans » ?

De là sont partis à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, les Pères Blancs et les Soeurs qui ont évangélisé les contrées subsahariennes, faisant de Notre-Dame d’Afrique « le lieu où le message de l’Évangile a quitté les rivages de la Méditerranée pour rejoindre » tout le continent. Mgr Teissier a rappelé aussi qu’après l’indépendance et le départ massif des catholiques d’Algérie, la basilique est devenue un symbole de paix entre chrétiens et musulmans, puisque tout près d’elle vivait le cardinal Duval, ardent défenseur des droits de l’homme pendant et après la guerre d’indépendance.

Sont venues ensuite les heures sombres de la « nouvelle tragédie algérienne », la guerre civile des années 1990. L’Église d’Algérie a payé un prix terrible : dix-neuf religieux et religieuses, dont l’évêque d’Oran, Mgr Claverie, ont été assassinés. « C’est dans cette basilique, a souligné l’archevêque, que nous avons célébré la messe d’offrande après ces attentats », ainsi que les obsèques du F. Vergès, de la Soeur Saint-Raymond, des quatre Pères Blancs de Tizi Ouzou, et des sept moines de Tibhirine « dont les cercueils entouraient le corps du cardinal Duval, décédé le jour même où l’on avait retrouvé les têtes de nos frères moines ». Suscitant une vive émotion, l’archevêque d’Alger s’est alors adressé aux lecteurs de La Croix : « Nous vous attendions »... pour constater le travail d’une Église en quelque sorte « légitimée » par ses martyrs récents aux yeux des Algériens et pour la soutenir.

Cela fut fait dès le lendemain à Tibhirine, où, depuis l’assassinat des moines, aucun groupe aussi important de chrétiens ne s’était rendu. Là encore, l’émotion fut intense, dans l’humble chapelle du monastère et sur la tombe des moines, sous la conduite du P. Thierry Becker, présent à Tibhirine la nuit des enlèvements et soucieux de regarder vers l’avenir. Mais ce fut aussi le début d’une prise de conscience de la tâche discrète de l’Église catholique en Algérie. À Tibhirine, le P. Lassausse fait revivre les activités agricoles du monastère pour aider les populations pauvres des environs, et Soeur Simone y anime un atelier de broderie pour les paysannes des hameaux proches. Formidable message d’espoir : malgré l’horreur, l’Église est restée sur ces collines au sud d’Alger au service des plus démunis.

D’autres, dans la capitale, ont témoigné de cette présence active des chrétiens d’Algérie : le P. Gonzales, directeur de la Caritas locale, a souligné leur rôle lors du tremblement de terre de Boumerdès et des inondations de Bab-el-Oued. Marie-Thérèse Brau, une « pied-noir » restée sur place à l’indépendance, a décrit son action auprès des personnes handicapées d’une banlieue d’Alger, Hussein Dey, et le P. Toussaint a dressé un tableau général de cette Église paradoxale, riche d’un glorieux passé et... de guère plus de 3 000 fidèles, dont une majorité de prêtres, de religieux et de religieuses. Durant tout le voyage, le P. Jean-Paul Vesco, dominicain, vicaire de l’évêché d’Oran, a témoigné de son dévouement et de son immersion dans la population de Tlemcen.

Ces inlassables actions caritatives ont également été approchées avec les religieuses rencontrées à Tamanrasset. Celles-ci témoignaient d’une autre famille spirituelle, celle de Charles de Foucauld, présente au coeur des derniers jours du séjour. Le voyage a coïncidé avec sa béatification à Rome le 13 novembre. Après la visite de sa demeure, La Frégate, et de son bordj, à Tamanrasset, les lecteurs pèlerins de La Croix ont vécu d’autres grands moments. La montée à l’Assekrem, ce sommet désolé aux perspectives grandioses, où Charles de Foucauld fut un temps ermite : quelques Frères y perpétuent sa vocation de témoignage et d’enfouissement. Puis, de nouveau dans la ville saharienne, pour une messe célébrée par Mgr Claude Rault, évêque de Laghouat-Gardhaïa ; à peine rentré de Rome, il a redonné l’homélie qu’il avait prononcée lors de la messe d’action de grâces, après la béatification, faisant un portrait éloquent et sans complaisance du nouveau bienheureux. L’évêque du désert a également décrit sa tâche dans ce diocèse grand comme trois fois la France, où il a la charge d’une centaine de fidèles - « je suis sans doute le seul évêque au monde qui connaît personnellement tous ses diocésains », a-t-il dit, ajoutant : « Mon siège épiscopal est surtout un siège de voiture ! » Les besoins sont importants, notamment depuis que des candidats à l’immigration en Europe, venus des pays sub-sahariens, y font étape, démunis de tout. Certains d’entre eux étaient présents à la messe.

Cette Église d’Algérie attendait la venue et le soutien de chrétiens français ; elle en espère d’autres. Comme, apparemment, le peuple algérien. Que ce soit dans de simples contacts, souvent chaleureux, dans les rues, ou lors d’une table ronde organisée dans un salon cossu de l’hôtel El-Djezaïr avec des membres de la société civile algérienne invités par Mgr Teissier, il nous a semblé que c’étaient tous les Algériens qui attendaient, qui espéraient la présence de visiteurs venus de France, pour les aider et témoigner de leur combat pour le développement et la liberté. Le voyage de La Croix en Algérie a tissé un premier lien, ténu sans doute, mais prometteur.

JEAN-LUC MACIA


Le vendredi 2 décembre 2005 par Mourot Jean Claude